Un cœur | une voix

Propos recueillis par Claudette Lambert – 1er avril 2025
De Caro à Marie Lamontagne, de Michel Tremblay à Tchekhov, de Robert Lepage, à Yvon Deschamps, Guylaine Tremblay nous éblouit depuis plus de 40 ans sur la scène ou à l’écran. Avec intensité, dynamisme et détermination, elle évolue à travers des personnages multiples. Profondément enracinée dans notre culture québécoise, elle reflète, tel un kaléidoscope, les mille facettes de l’âme humaine. Voici quelques moments clés de la carrière de cette artiste au talent immense.
Claudette Lambert : La première fois que je vous ai vue au théâtre, c’était au Café de la place dans Aurélie ma sœur, un drame habilement tissé par Marie Laberge, qui faisait pleurer la salle au grand complet.
Guylaine Tremblay : Oh ! J’étais bien jeune ! Un grand moment pour moi, car j’avais la chance de jouer avec la grande Denise Gagnon qui nous a quittés récemment. Elle avait été ma professeure au Conservatoire d’art dramatique et je la trouvais tellement incroyable comme actrice ! C’est un grand cadeau que Marie Laberge m’avait fait. Le Café de la place était une merveilleuse petite salle, on était tout près des spectateurs, on respirait avec vous.
C.L. : À quel âge le désir de faire du théâtre a-t-il pris forme en vous ?
G.T. : C’était vers l’âge de cinq ans. À la maison, nous écoutions Les Beaux dimanches à Radio-Canada. Je ne me souviens pas des pièces, mais le théâtre Alcan était une captation de théâtre en direct et l’on entendait le murmure de la salle au début et les coups de théâtre, je voyais le grand rideau rouge et les acteurs entrer en scène. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais un frisson qui me parcourait tout le corps. Je trouvais ça extraordinaire, c’était comme une fête, quelque chose de phénoménal allait commencer. Ça ne m’a jamais quittée ! Plus tard, je me suis demandé pourquoi je faisais ce métier-là. Pour moi, jouer, c’est une grande sensation de liberté. Je peux communiquer avec les gens à travers des personnages qui parfois ont la permission de dire ce que moi je n’oserais pas dire. C’est un terrain de jeu de liberté et c’est pour ça que j’aime encore ça.
C.L. : Vous avez reçu énormément de prix, dont plusieurs résultaient d’un vote du public. Vous avez souvent incarné des personnages sympathiques. Diriez-vous que ces rôles attirent davantage l’affection du public ?
G.T. : Oui, je pense que ça ne serait pas honnête de dire qu’il n’y a pas de rôles plus payants que d’autres, dans le sens que des gens vont presque immédiatement t’adopter comme personnage et s’identifier facilement à toi. Oui, il y a des rôles qui ont cette magie-là. Annie et ses hommes était une femme à qui toutes les femmes pouvaient d’identifier, une femme imparfaite, contemporaine, qui avait des enfants et un parcours de vie parfois heureux ou dramatique qui leur ressemble. Oui, certains rôles peuvent tout de suite nous rapprocher des gens.
C.L. : Le physique de la comédienne, son style et sa voix attirent évidemment certains rôles.
G. T. : Le physique, oui, mais c’est surtout une question d’énergie. Parfois, les gens qui nous engagent manquent d’imagination et se fient trop au physique alors qu’il faut se fier à l’énergie que la personne dégage. Ce qui nous différencie les uns des autres, c’est notre pulsion, c’est ce qu’on a en dedans de nous.
C.L. : Vous avez beaucoup joué Michel Tremblay : Rose Ouimet, Nana, Thérèse dans Nos belles-sœurs, où vous n’étiez pas particulièrement aimable envers votre belle-mère jouée par Véronique Le Flaguais, que vous échappez dans l’escalier du 2e étage…
G.T. : On a tellement ri en tournant cette scène !
C.L. : L’univers de Michel Tremblay est fait de drames, de petits bonheurs, de rêves brisés, de misère humaine finalement. Un théâtre indispensable dans notre société ?
G.T. : Vous l’avez dit : un théâtre indispensable. Ce qu’il a fait pour nous, c’est assez phénoménal. Il nous a dit à travers son écriture : « Vous êtes assez grands pour être des personnages de théâtre ». Du haut de ses 23 ans, il nous a dit qu’on existe, qu’on est aussi grands que les personnages de Tchekhov, de Pirandello ou d’Arthur Miller, et ça c’est une révolution extraordinaire !
C.L. : Est-ce qu’il y a malgré tout une touche d’espoir dans le théâtre de Tremblay ?
G. T. : D’après moi oui, même dans ses plus sombres drames, parce que ce sont des gens qui veulent s’en sortir. Le problème c’est qu’ils n’ont pas toujours les bons outils, mais ils ne se contentent jamais de ce qu’ils ont. La Duchesse de Langeais par exemple, vendeur de souliers le jour, devient la reine le soir et brille sur scène. Germaine dans les Belles-sœurs, pense qu’elle va être heureuse en achetant des produits avec des timbres Gold Star. Les personnages de Tremblay veulent toujours améliorer leur sort, mais ils ne sont pas armés pour faire face à la vie. Malgré tout, il y a beaucoup d’amour entre eux, ils portent le désir d’être reconnus, d’être aimés. Nana, un rôle qui m’a profondément marquée, raconte une extraordinaire histoire d’amour entre une mère et son fils.
C.L. : Et que dire de La petite vie de Claude Meunier, que nous écoutons encore 25 ans plus tard. Le côté rebelle et contestataire de Caro vous ressemble-t-il un peu ?
G. T. : La rébellion, peut-être pas, je dirais plutôt l’indignation, c’est quelque chose qui m’a toujours habitée. Le problème avec Caro c’est qu’elle a une trentaine d’années et elle a encore la rébellion d’une fille de 15 ans. Je connais ces moteurs. Pour interpréter Caro, je me suis servie de mon sens de la justice pour exprimer les inégalités et le féminisme inhérent à la condition des femmes.
C.L. La série Unité 9 nous a tous beaucoup marqués. L’auteure, Danielle Trottier, raconte qu’elle a écrit le rôle de Marie Lamontagne en pensant à vous.
G.T. : J’avais déjà joué dans un de ses téléromans qui s’appelait Emma, et un jour, elle m’a téléphoné et m’a dit : « J’écris actuellement un téléroman qui se passe en prison et le personnage principal, je l’écris en entendant ta voix ». Quel grand cadeau que ce rôle-là !
C.L. : Vous donnez à vos personnages tout ce que vous avez comme expérience de vie, mais en retour, vos personnages vous font-ils grandir en humanité ?
G.T. : Il y a des personnages qui sont rendus plus loin que moi dans la vie dans bien des domaines et parfois c’est l’inverse, c’est moi qui injecte mon vécu. C’est un travail d’échange et Marie Lamontagne en est le parfait exemple. Elle m’a appris à respecter le rythme des femmes qui ont subi des violences, quelles qu’elles soient. Elle m’a appris la patience. Moi j’étais plutôt du genre à vouloir dénoncer immédiatement. J’ai appris avec elle que c’est un travail ardu de dénoncer son agresseur, que ça prend du temps, qu’il faut respecter le silence de ces femmes-là. Ça nous heurte parce qu’on voudrait qu’elles parlent, mais il y a des enjeux tellement puissants à dénoncer quelqu’un. Tu sais que tu ne seras peut-être pas crue, ce serait comme un deuxième drame, tu sais que probablement la famille va éclater à cause de toi. Il y a des enjeux terribles. Alors tout ce qu’on peut faire c’est l’accompagner et respecter son rythme. Ça, c’est Marie Lamontagne qui me l’a appris.
C.L. : Avec cette série, vous nous avez fait découvrir un univers parallèle fait de violence, de drogue, de solitude et de solidarité aussi.
G.T. : Oui, dans Unité 9 les femmes étaient très solidaires, car elles partageaient la même misère, le même univers oppressant. Bien des jours, on sortait de Radio-Canada après le tournage en se disant : quelle chance on a de rentrer chez nous. Dans ma cellule à Unité 9, je n’avais aucune intimité, car dans les portes de chambre il y a une fenêtre qui ne doit jamais être obstruée pour que les gardiennes puissent toujours voir. Tu ne peux jamais être seule sans que quelqu’un puisse t’épier. C’est sans doute ce que je trouverais le plus pénible. Un personnage disait à Marie : « Tu vas voir, au début tu vas avoir de la visite, plus le temps va passer, moins tu vas en avoir et finalement, ils vont complètement t’oublier ». D’ailleurs, quand nous avons été invitées à visiter la prison des femmes, elles étaient toutes réunies dans une grande salle. Quand on est entrées, ç’a été une ovation, les filles criaient et pleuraient, ç’a été une rencontre incroyable.
C.L. : Comme comédienne, vous avez la chance de pouvoir passer de l’humour au drame. On pense bien sûr aux Bye bye.
G.T. : Pour moi, c’est essentiel. Je ne pourrais pas faire que du drame ou que de la comédie, j’aime passer de l’un à l’autre. J’ai choisi ce métier-là pour être quelqu’un d’autre, pour plonger dans différents univers. Cette année, je me promène entre Veille sur moi, le Bye bye et Jeanette Bertrand au théâtre. C’est à l’image même de ce que je veux être dans ce métier-là, faire rire, faire pleurer, faire réfléchir. J’ai cette grande chance.
C.L. : Vous êtes une personnalité publique très exposée, et vous vieillissez devant nous tous. Comment vivez-vous ça ?
G. T. : Avant d’être une actrice, je suis une femme, alors le vieillissement… je suis comme toutes les femmes. Il y a des jours où je m’en fous complètement et je suis juste dans la reconnaissance d’être encore là en bonne santé et d’autres jours, en me regardant dans le miroir, je me dis : ah ! Mon Dieu ! Qu’est-ce qui se passe ? Ces moments ne durent pas trop longtemps, je suis vraiment contente d’être encore là, de pratiquer un métier que j’aime. Oui, le corps change, c’est inévitable. Mes filles sont dans la vingtaine et même avec les meilleures crèmes au monde et des interventions pour me rajeunir, jamais je n’arriverais à ça. Donc, je me concentre sur d’autres choses. Le problème c’est que nous les actrices, comme on vieillit devant le regard de tous, il y a toujours quelqu’un pour nous dire qu’on a eu un lifting ou qu’on devrait en avoir un. Tout le monde a des opinions sur notre allure, sur nos cheveux, ça me fait beaucoup rire. Dernièrement, quelqu’un m’a dit que je portais des perruques et que ça paraissait. Que voulez-vous, j’ai toujours eu une abondante chevelure et des joues bien rondes.
C.L. : Certains rôles vous embellissent alors que d’autres vous enlaidissent. Je pense à Caro, Maggy, ou Thérèse dans Nos Belles-sœurs où vous n’êtes pas particulièrement à votre avantage. Quel détachement faut-il pour accepter de présenter une image peu flatteuse de soi ?
G.T. : Thérèse est pauvre, elle n’aime pas sa vie, elle est malheureuse et ça paraît dans toute son image avec sa coiffure ancienne et son petit rouge à lèvres foncé. Dans Veille sur moi, j’ai choisi de me teindre les cheveux en gris parce que Maggy est le genre de femme qui a arrêté de se teindre les cheveux parce qu’elle n’avait plus de travail, plus d’argent. Moi, me transformer, c’est mon plaisir. Je ne suis pas un mannequin, je suis une actrice. Si un rôle me demande d’avoir l’air amochée, je le fais. Pour Marie Lamontagne, on accentuait les cernes, on creusait mon visage, ils me mettaient une espèce de pâte dans les cheveux pour qu’ils soient plats. Je l’acceptais, car Marie Lamontagne en prison avec le teint clair, personne n’y aurait cru. Puis, il y a des fois où on est magnifiée. On nous maquille, on nous coiffe, on nous donne un éclairage extraordinaire. Quand il faut être belle, c’est bon, mais quand il ne faut pas être belle, je n’ai pas de problème avec ça. Quand Andrée Lachapelle a joué Albertine en 5 temps, elle incarnait Albertine à 60 ans, sur les pilules, en jaquette, avec des pantoufles de phentex. Les gens avaient un choc de la voir comme ça, elle qui a toujours été si belle, moi je mesurais son plaisir d’actrice de sortir du rôle de la belle femme.
C.L. : Comment avoir un engagement social quand on est un personnage multiple qui change au gré des rôles ?
G.T. : C’est de façon très modeste, en essayant toujours d’inculquer une grande authenticité aux personnages que j’interprète. C’est au public de décider jusqu’où il vient avec moi là-dedans. Je prends l’exemple de Veille sur moi, ça me semblait important de camper une grand-mère pas parfaite du tout, avec beaucoup de cœur, de résilience, de courage et beaucoup d’amour pour sa fille et pour son petit-fils. Sa fille, Corine, est comme elle il y a 20 ans, donc Maggy connait les problèmes de toxicomanie. J’essaie de mettre beaucoup d’humanité dans mes personnages et je pense que ça peut provoquer des discussions, des prises de conscience, des réflexions. Alors mon rôle social est très petit, mais je le vis dans l’humanité que je donne à mes personnages.
C.L. : Avec cette série inspirée du drame de la petite fille de Granby, souhaitiez-vous vous adresser à la DPJ ?
G.T. : La petite fille de Granby nous a complètement atterrés, mais ce n’est pas à la DPJ que je voulais m’adresser, c’est à nous. Est-ce qu’on prend soin de nos enfants ? Est-ce que le bien de l’enfant passe avant le nôtre ? Quand j’ai voulu parler de la place des grands-parents, je ne savais même pas que j’allais bientôt être grand-mère. J’ai refilé l’idée à la productrice France Beaudoin. Je me disais qu’il y avait un vide juridique, en quelque part. J’entendais des entrevues de grands-parents qui disaient ne pas avoir le droit de voir leurs petits-enfants parce que leur fils est séparé d’avec sa femme et que la relation se passe très mal. Je sentais leur désespoir. Pour moi, ce serait le pire cauchemar de ne plus voir ma petite-fille. Je ne voulais pas m’adresser à la DPJ, mais à la société tout entière. À la DPJ, il y a des gens de bonne volonté qui travaillent pour le bien de l’enfant. Par contre, il y a des problèmes dans le système et je ne saurais même pas par où commencer pour trouver des solutions. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc.
C.L. : Et maintenant, vous êtes grand-mère à votre tour.
G.T. : Je savais que j’allais aimer cet enfant-là, mais je ne pouvais pas m’imaginer à quel point, ni la force du tsunami d’amour qui allait s’abattre sur moi. Être grand-parent, c’est redécouvrir la vie à travers les yeux d’un enfant. C’est ça le plus beau cadeau ! Tu as la possibilité d’être émerveillée avec elle de la petite fourmi qui entre dans un trou et qui en ressort. Tu vois la joie qu’elle a d’apprendre, de connaître, de découvrir. C’est magnifique ! Comme parent tu le découvres aussi avec ton enfant, mais tu as toutes les responsabilités qui vont avec…
C.L. : Évidemment, vous avez vécu la difficile conciliation travail-famille.
G.T. : Moi je l’ai connue en tant que travailleur autonome. Quand il faut que tu sois sur un plateau de tournage à 6 h du matin, qu’est-ce que tu fais de tes enfants ? Il faut avoir un solide noyau d’entraide. C’est pour ça que dès que ma fille et son conjoint ont besoin de moi, si je peux, j’y vais, car je connais les contraintes de la conciliation travail-famille.
C.L. : Dans votre spectacle « J’sais pas comment, j’sais pas pourquoi », vous avez interprété des chansons d’Yvon Deschamps. Mais chanter c’est un autre défi. Vous aimez vivre dangereusement pour vous lancer dans cette aventure.
G.T. : Oui, j’aime ça affronter des défis, c’est un bon moteur. Chaque fois que quelque chose me fait peur ou me sort de ma zone de confort, je me dis : vas-y ! Pour moi, c’est là la véritable jeunesse et ça me permet de la conserver. J’ai toujours aimé chanter, mais je n’ai aucune prétention d’être une chanteuse. Monique Fauteux qui avait travaillé avec nous quand on a fait Les Belles-sœurs au théâtre a une présence rassurante, et elle m’a beaucoup aidée. Je ne visais pas la perfection vocale, je visais l’émotion et selon les commentaires des gens après le spectacle, je pense avoir réussi. La pandémie s’est mieux passée pour moi à cause de ce projet-là.
C.L. : Pensez-vous le reprendre éventuellement ?
G.T. : Il pourrait se reprendre n’importe quand, car c’est intemporel. Je raconte des histoires de mon enfance, de mon adolescence, ponctuées par les chansons d’Yvon pour illustrer des bouts de ma vie. Par exemple, il a écrit une chanson qui s’appelle Papa, et moi, en étant une mère qui a adopté des enfants, je me suis toujours dit que je devais avoir la même sensation que les papas biologiques. Comme eux, je n’ai pas porté le bébé puis tout à coup il arrive et je suis mère pour la vie. Donc je racontais ce parcours de l’adoption de mes filles et je terminais avec la chanson Papa.
C.L. : Pourquoi était-ce important de vous raconter devant un public?
G.T. : Ça avait du sens parce que j’avais les chansons d’Yvon, liées à différentes époques de ma vie. C’était connecté à mon amour profond pour lui. Pas sûr que j’aurais pu m’amener sur une scène pour raconter des bouts de ma vie, mais avec cet enrobage, je trouvais que c’était organique, que ça marchait. On a été très bien reçu et qui sait, peut-être que je me reprendrai un jour.
C.L. L’émission « Banc public » a duré pendant trois ans. Voilà un autre métier qui, cette fois, vous a obligée à laisser toute la place à l’autre.
G.T. : Un autre métier que j’ai adoré ! J’étais très curieuse de ce que les invités apportaient, j’essayais de les comprendre au lieu de les juger. Pour moi, c’était formidable de mettre en lumière d’autres humains. Sincèrement, je ne peux vraiment pas dire que je suis en manque d’éclairage et ça me faisait vraiment plaisir de mettre d’autres humains en lumière.
C.L. Du reste, on se révèle autant par une question qu’avec une réponse.
G.T. : C’est très juste. Quand on interviewe quelqu’un, on se met nous aussi en situation de vulnérabilité. C’est une rencontre et l’on ne sait jamais comment ça va se passer. J’ai eu de grands moments de bonheur à faire Banc public. Je me souviens d’un ancien curé qui avait décidé de défroquer parce qu’il était tombé en amour avec sa paroissienne. Il me parlait de sa foi avec beaucoup d’émotion. Un gars de Québec est venu parler de son homosexualité et des méandres qu’il a dû traverser comme entraîneur sportif. Un jeune hassidique avait quitté sa communauté avec toute la culpabilité et les difficultés que ça soulevait. Et ma rencontre ultime avec une personne qui allait mourir dans cinq jours avec l’aide médicale à mourir. À sa demande, je suis allée le voir chez lui, on a parlé de sa mort prochaine, et sa maman m’a dit que c’est peut-être le plus beau geste d’amour qu’elle faisait pour son fils, encore plus grand que de lui donner la vie : lui donner la permission de mourir.
C.L. Qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ?
G.T. : C’est surtout l’ouverture à ce qu’on ne peut pas expliquer mais qu’on ressent profondément. Ma spiritualité est dans le lien que j’ai eu avec des gens, même s’ils sont disparus. Je crois encore que le lien d’amour ne s’efface jamais. Je suis dans une ouverture que je ressens et que je puis redonner aux autres. Je ne suis pas religieuse, mais je crois qu’on est plus grand que ce qu’on nous a appris. La spiritualité est là tous les jours dans notre vie, il suffit de s’ouvrir à cette dimension. Dans mon métier, il y a des moments de grâce, des moments furtifs de plénitude, et là je sens que je touche à quelque chose de grand, de spirituel.
C.L. : En vieillissant, on sait bien qu’il y aura des pertes, que la mémoire et l’énergie vont diminuer, et pire encore, on sait qu’on va mourir. Comment appréhendez-vous ces moments-là ?
G.T. : Je ne suis pas encore complètement détachée par rapport à l’idée de la mort. J’ai de la peine de savoir que je vais quitter ceux que j’aime, même si c’est inévitable, mais je crains davantage la mort de ceux que j’aime que ma propre mort. Le problème de la vieillesse c’est de perdre ceux qu’on aime. J’ai 64 ans et je commence déjà à perdre des gens. En même temps, ça me donne un élan de vie magnifique, c’est maintenant que ça se passe. Apprécions la vie, après on ne sait pas.
C.L. : Mais vous allez bientôt devenir centenaire, du moins au théâtre, sous les traits de Janette Bertrand !
G.T. : Je n’en reviens pas de jouer Janette Bertrand. Comme la peur est mauvaise conseillère, je me dis qu’il faut y aller. Pour moi, c’est un travail de groupe. J’ai fait beaucoup de choses en solo les dernières années et là je vais être entourée d’acteurs magnifiques. Ça me fait très plaisir ! Tout ce que je peux dire c’est que je vais le faire de tout mon cœur. C’est épeurant mais tellement excitant !